Début avril, l'éclatement de la bulle du bitcoin a mis cette monnaie virtuelle, mais néanmoins financièrement bien réelle, sur le devant de la scène. Cette devise qui semble sans foi ni loi intrigue autant qu'elle inquiète et suscite de multiples questionnements de la part de ceux qui ne la connaissent pas. Avant de vous livrer prochainement un dossier complet sur les crypto-monnaies, voici quelques pistes pour comprendre le phénomène Bitcoin.



Créé en 2009 par un anonyme, ou un groupe d'anonymes, se faisant appeler Satoshi Nakamoto, le bitcoin a pris le temps de se développer et d'évoluer sur Internet sans attirer l'attention du grand public. S'il s'agit bel et bien d'une monnaie virtuelle, cette dernière n'a pas grand-chose à voir avec celles que la majorité des internautes connaissent, comme les Facebook Credits qui servaient jusqu'à il y a peu à acheter des carottes dans Farmville. Les bitcoins évoluent en effet selon un cours qui, s'il ne dépend d'aucun marché boursier réel, permet de déterminer son taux de change, totalement virtuel, pour une monnaie réelle, comme le dollar ou l'euro, en fonction de l'offre et de la demande. Il s'agit donc bien d'une véritable monnaie, qui a une valeur, et qui peut être convertie.

Mais, bien loin des devises traditionnelles, elle n'est gérée par une aucune banque, aucune bourse : sa valeur dépend de ce que qu'en fait le Net, ses possesseurs et ses « mineurs ». Car le bitcoin est également totalement décentralisé.


Une devise libre et décentralisée


Le bitcoin est à la monnaie virtuelle ce que Magnet est à BitTorrent, à savoir totalement affranchi de fichiers et de serveurs « en dur » : Magnet est en effet une alternative au célèbre protocole peer-to-peernotamment utilisée par The Pirate Bay, qui n'utilise plus de fichiers .torrent et de tracker. Le téléchargement d'un fichier se fait à l'aide d'une chaîne de caractères (URI) à copier et à coller dans un client compatible, qui se charge d'identifier les données et de les rapatrier directement depuis les machines des utilisateurs qui partagent le fichier.

Pour bitcoin, la démarche est très proche, dans la mesure où les transactions réalisées par les utilisateurs de cette monnaie passent par des logiciels installés sur les machines de la communauté. Ces programmes, dont le plus connu se nomme Bitcoin-Qt, génèrent un porte-monnaie virtuel une fois installé. Ce porte-monnaie ne requiert aucune inscription ou quoi que ce soit de la part de son possesseur : il est identifié par une ou plusieurs adresses, soit des suites de caractères aléatoires, générées par l'utilisateur. Ce sont ces adresses qui vont permettre de réaliser des transactions d'un compte à un autre. Il est possible d'en créer une pour chaque transaction, de manière à les identifier.

Mais le programme ne sert pas uniquement à effectuer ses propres échanges : il sert de « nœud » au réseau mondial de transactions bitcoin qui, décentralisé, est finalement présent en partie sur la machine de chacun de ses utilisateurs, qui participent tous à l'effort de calcul requis par le fonctionnement du réseau : les transactions enregistrées constituent des blocs composés de calculs que le réseau doit résoudre pour valider les échanges. Et pour récompenser les maillons de cette immense chaîne, des bitcoins sont générés et distribués aléatoirement aux utilisateurs, qui peuvent étoffer leur pécule par ce biais.


Générer des bitcoins : l'eldorado virtuel ?


Néanmoins, il ne faut pas s'imaginer qu'il est possible de faire fortune en installant un petit logiciel sur son ordinateur, et en le laissant tourner jour et nuit pour ensuite changer ses bitcoins en euros : le rendement par ce biais est extrêmement faible, à moins de se lancer dans une véritable entreprise de calcul de transactions en renforçant les performances de son ordinateur pour optimiser sa vitesse de calcul, et ainsi multiplier ses chances de gagner des bitcoins en résolvant davantage de blocs.

Cette démarche, qui s'est fortement popularisée ces derniers mois, se nomme le « bitcoin mining ». Forcément, qui dit popularisation dit également forte concurrence et donc forte compétitivité : et, quand on sait que la génération de bitcoins est limitée, il est difficile de tirer son épingle du jeu, sans compter que ce dernier n'en vaut pas forcément la chandelle : TechCrunch met en avant que la consommation électrique entraînée par la prospection de bitcoins n'est pas particulièrement rentable pour une partie des « mineurs », qui dépensent plus d'argent en électricité qu'ils en gagnent en minant des bitcoins.

Car il est important de préciser que, bien que virtuelle, la monnaie bitcoin n'est pas infinie : sa mise en circulation, et donc, la génération des bitcoins, suit une courbe qui arrivera à son apogée lorsque 21 millions de bitcoins seront en circulation. À partir de ce point, qui devrait être atteint aux environs de 2040, plus aucun denier virtuel de ce type ne pourra être généré.




La « génération » de bitcoins est dégressive, et se découpe en « blocs » de 10 minutes environ, soit le laps de temps moyen estimé pour le calcul de la résolution de l'un d'eux. Durant les 210 000 premiers blocs, 50 bitcoins étaient générés toutes les 10 minutes. Mais ce cap est désormais passé et ce sont désormais 25 bitcoins qui sont générés à chaque résolution de bloc. Quand les 210 000 alloués à cette phase se seront écoulés, on passera à 12,5, puis à 6,25, puis à 3,125, et ainsi de suite. Sachant qu'un bitcoin est divisible jusqu'à 8 chiffres après la virgule, les dernières phases de génération seront risibles.

La problématique est donc la suivante : plus le réseau Bitcoin s'étend, plus il est stable et sécurisé, mais plus il est difficile d'espérer obtenir les précieux bitcoins générés et se constituer un portefeuille solide par ce biais. A partir de là, on comprend alors que les seules véritables façons de palper virtuellement cette devise, c'est d'en faire l'acquisition dans un bureau de change, lui aussi dématérialisé, ou par le biais de transactions entre utilisateurs.

Comment acquérir des bitcoins ?


Outre la génération de bitcoins, il y a donc deux méthodes pour étoffer son portefeuille : soit en se faisant payer avec cette monnaie en échange d'un produit ou d'un service, ou soit d'en faire l'acquisition sur le marché de change.

La première méthode semble, en apparence, être celle qui va permettre de faire grossir son porte-monnaie sans sortir le sien : en théorie, il serait tout à fait possible de passer par Bitcoin plutôt que par Paypal, par exemple, pour vendre un objet et se le faire payer, en esquivant au passage les frais de transaction. En pratique, rares sont encore les vendeurs et acheteurs qui acceptent les transactions en bitcoins. Encore obscure, la monnaie virtuelle n'est pas suffisamment démocratisée à l'heure actuelle pour être une alternative possible à coup sûr.



Il faut souligner que si le bitcoin n'a pas forcément bonne réputation auprès de ceux qui le connaissent, c'est également parce qu'il est vraisemblablement utilisé dans des secteurs peu recommandables, notamment dans les trafics de drogues et d'armes. Car qui dit monnaie décentralisée et anonyme, dit également argent intraçable. Ainsi, des sites « cachés », accessibles notamment via le réseau Tor, utilisent le bitcoin pour des transactions illégales : l'un des plus célèbres se nomme Silk Road. Difficile, avec une telle réputation, de se faire bien voir auprès d'un grand public, méfiant sur la question de l'argent en pleine période de crise.

A défaut de gagner des bitcoins via des transactions, il reste possible d'en acquérir en échangeant des euros ou toute autre devise sur un marché de change spécialisé. Pour ce faire, il est possible de s'inscrire sur des sites comme Mt.Gox, qui est d'ailleurs la plus grande plateforme d'échange de bitcoins présente sur le marché, et qui suit son cours en temps réel.

Dans l'optique de l'achat de deniers virtuels fluctuants avec de l'argent réel, il faut garder un œil sur le taux de change, comme pour n'importe quelle transaction de ce type : si les bitcoins font offices pour certains de valeur refuge, leur taux très changeant de ces derniers jours a dû donner des sueurs froides à ceux qui ont converti leur argent lorsque le bitcoin était au plus haut. Une fois le cap de la conversion passé, reste encore à savoir quoi faire de ses bitcoins.


Un usage encore restreint


Le caractère encore expérimental, le taux fluctuant et le flou dans les transactions, qui sont irréversibles, ne fait pas encore du bitcoin une devise populaire chez les commerçants en ligne « traditionnels ». Néanmoins, il est tout de même possible de les utiliser sur un nombre de plus en plus conséquent de sites qui s'en sont presque fait une spécialité.

De nombreuses listes de sites acceptant les paiements en bitcoins circulent : en les épluchant, on remarque cependant que certains domaines sont fermés, mais il reste possible d'acquérir des codes et des clés de jeux vidéo, des vêtements, des produits informatiques et même de la nourriture pour animaux de compagnie avec des bitcoins. Dans un registre plus « populaire », Mega, la nouvelle plateforme de Kim Dotcom, accepte également les paiements en bitcoin via le site Bitvoucher — dont le slogan s'avère être « Vos détails personnels ne nous regardent pas ». La plateforme de blog Wordpress.com les accepte également, expliquant que cette monnaie s'avère utile dans les pays qui bloquent Paypal.




Une monnaie à utiliser en connaissance de cause


Présenté ainsi, le bitcoin, malgré les subtilités autour de sa génération par le biais de son réseau et de procédures de calcul — ce qui l'oppose aux monnaies étatiques - peut s'apparenter à n'importe quelle autre monnaie utilisée pour réaliser des transactions. Il faut cependant bien avoir conscience qu'il s'agit d'une devise qui évolue tel un électron libre : aucun état ne la contrôle, et son cours est extrêmement variable. Ainsi, on investit dans les bitcoins à ses risques et périls.

De même, si les transactions ne sont pas totalement anonymes — elles sont tout de même visibles sur le réseau, qui garde tout en mémoire — elles sont irréversibles une fois effectuées. Enfin, il faut également signaler que les risques de piratage de porte-monnaie existent, et que les malwares qui transforment des machines en PC zombies dans le but de « miner » des bitcoins à l'insu de leurs utilisateurs commencent à pointer le bout de leur nez.

Concrètement, acquérir des bitcoins et s'en servir pour des transactions ne requiert que peu de connaissances techniques. Pour cerner les subtilités du « bitcoin mining », il faudra néanmoins se pencher plus en détail sur le phénomène et ses enjeux techniques : de nombreux sites permettent de faire des simulations pour déterminer comment espérer garder des bitcoins via une installation rentable… mais c'est presque une autre histoire. 

Questions/réponses autour du bitcoin


Connaît-on son créateur ?


Personne ne sait qui se cache derrière le nom de Satoshi Nakamoto, à l'origine du bitcoin. Dès la publication du rapport de recherche décrivant cette monnaie virtuelle et délocalisée, sur un newsgroup en novembre 2008, de nombreux internautes ont tenté de percer le mystère autour de cet homme, sans réel succès. Présenté comme un Japonais utilisant une adresse email d'un FAI allemand et parlant un anglais impeccable, Satoshi Nakamoto pourrait aussi bien être une seule personne qu'un groupe. La plupart des internautes s'étant penchés sur la question s'accordent sur le fait qu'il s'agirait d'un pseudonyme dont les origines pourraient être multiples : Satoshi signifie « sage » en japonais. Autre piste évoquée : celle d'un mot-valise rassemblant les noms de quatre entreprises, à savoir Samsung, Toshiba, Nakamichi et Motorola.

Le bitcoin est-il anonyme ?


Oui et non : si les transactions peuvent être réalisées sans s'inscrire sur aucune plateforme et s'il n'est pas toujours nécessaire de donner son identité pour réaliser ou recevoir un paiement, les transactions apparaissent tout de même dans le journal du réseau qui recense les montants, les dates et les adresses du payeur et du receveur. S'il n'est pas possible, via ses informations, de déterminer l'identité des personnes, elles restent consultables.

Mais dans certaines situations, un rapprochement est possible : par exemple, si l'adresse est publiée sur un site Web, il est plus aisé d'en connaître le propriétaire. Il faut donc s'adapter en adoptant certains automatismes, comme créer plusieurs adresses pour séparer les usages, en particulier si on veut garder certaines transactions non-identifiables.



Quels sont les risques de piratage ?


Le bitcoin étant une monnaie totalement dématérialisée basée sur un système décentralisé, il n'y a aucune preuve physique de l'argent que vous possédez. De fait, si votre porte-monnaie virtuel se fait pirater, vous n'avez pas de moyen de récupérer vos bitcoins : il faut donc tout faire pour protéger votre porte-monnaie.

Quelles sont les méthodes de protection ?


Les solutions les plus simples se trouvent directement dans le logiciel utilisé : en premier lieu, il faut chiffrer le porte-monnaie avec une « phrase de passe » de 10 caractères aléatoires, ou de huit mots au minimum. Plus la séquence est complexe et plus il sera difficile pour un pirate d'accéder à votre porte-monnaie — à noter que si la machine qui héberge est contaminée par un enregistreur de touches, ça ne servira potentiellement à rien.

L'autre méthode permet de prévenir les éventuels crashs de système ou de suppression de données en réalisant une sauvegarde locale du porte-monnaie, sous la forme d'un fichier .dat. Ce dernier peut ensuite être stocké sur une clé USB, par exemple. Mais attention : si ce fichier est volé et si son mot de passe est cassé, il est possible d'en récupérer le contenu. Les bitcoins ont beau être virtuels, si quelqu'un vous les vole, ils sont bel et bien perdus. A noter que les sauvegardes doivent être répétées après chaque transaction car le contenu du porte-monnaie change, ce qui rend les précédentes sauvegardes invalides.

La génération de bitcoins est-elle infinie ?


Non : comme expliqué dans l'article, elle suit une courbe exponentielle qui atteindra son apogée aux environs de 2040. Plus le temps passe, plus il y a de bitcoins en circulation, mais moins il y a de bitcoins générés chaque jour sur le réseau. La courbe de génération de bitcoins ne bougera plus quand 21 millions de devises auront été mises en circulation.

Y a-t-il des frais de transaction ?


Les frais sont facultatifs et très réduits : ils visent à récompenser le « mineur » dont la machine résout le calcul lié à la transaction. Dans la mesure où, à l'heure actuelle, le « minage » est récompensé par la génération des nouveaux bitcoins à chaque résolution d'un bloc, les frais pour les personnes réalisant des transactions sont quasiment inexistants. Mais, le jour où il n'y aura plus de nouveaux bitcoins mis en circulation, les frais seront probablement plus importants pour motiver les mineurs à ne pas quitter le réseau. Mais ce temps n'est pas encore venu.

Où est la faille ?


Le bitcoin étant décentralisé, il appartient à tout le monde, et tout le monde est responsable d'une petite partie du calcul. La faille d'un tel système est connue sous le nom de « l'attaque de 51% » : si une entité parvenait à réunir une puissance de calcul représentant au moins 51% du total de la puissance du réseau entier, alors elle pourrait en prendre le contrôle un certain temps, jusqu'à ce que le pourcentage ne rebascule. Une telle situation pourrait nuire temporairement à l'équilibre de la monnaie, mais ne permettrait pas d'en voler à ses propriétaires ou d'influer sur sa génération, qui reste limitée. De fait, une telle perspective, si elle s'avère possible en théorie, ne serait pas rentable en pratique, compte tenue de la consommation électrique qu'il faudrait utiliser pour contrôler plus de la moitié du réseau.

Le bitcoin peut-il être assimilé à une pyramide de Ponzi ?


La monnaie virtuelle est en effet critiquée pour son rapprochement avec la célèbre pyramide de Ponzi, cette arnaque qui nécessite de recruter de nouveaux membres pour continuer à être rentable, et qui n'est en réalité vraiment profitable qu'aux premiers arrivants. La comparaison est à la fois peu flatteuse et inquiétante, car une pyramide de Ponzi finit généralement par s'effondrer.

Dans le cas du bitcoin, la comparaison tient au fait que les premiers « mineurs », qui ont donc contribué à développer le réseau à la base, étaient peu nombreux alors que chaque bloc permettait de générer 50 nouveaux bitcoins en une dizaine de minutes : il était donc aisé de gagner des bitcoins en minant. Mais plus le temps passe, plus le nombre de mineurs augmente, et moins les blocs génèrent de nouveaux bitcoins. En contrepartie, le bitcoin est de plus en plus utilisé, et donc, sa valeur augmente : les premiers arrivés ont donc été les mieux servis, et profitent aujourd'hui de la valeur en hausse de la monnaie virtuelle.

Néanmoins, cette critique est nuancée dans le sens où accéder au bitcoin ne nécessite pas d'investissement dans le but de le faire fructifier : c'est une monnaie dont l'économie se développe par le biais des échanges et du commerce. Que les premiers « mineurs » qui ont participé à l'élaboration du réseau ont été récompensés est un fait, mais le but de bitcoin n'est pas de pousser de nouveaux arrivants à en recruter d'autres pour faire fructifier leur investissement : nous sommes donc sensiblement éloignés d'un système pyramidal traditionnel.



Quels sont les risques à investir dans les bitcoins ?


Outre le piratage de son porte-monnaie, c'est du côté de la fluctuation de la valeur du bictoin qu'il faut se pencher : ce dernier a connu une très forte chute début avril, mettant en avant que la devise est loin de mettre à l'abri ses partisans de catastrophes financières. Même si le bitcoin est reparti à la hausse, il peut rechuter à tout moment. En définitive, même si elle est totalement dématérialisée, cette devise n'est pas virtuelle : elle vaut de l'argent, et manipuler des bitcoins revient à boursicoter. Mieux vaut donc être prudent et ne pas se jeter à corps perdu dans l'utilisation de cette monnaie sans en être informé.